Lorsque nous étions en direction du sud, il était temps de prendre un deuxième café. Arrêter dans un rest area et s’en faire un était une option mais le rest area est un concept très variable qui passe de la cabane avec une toilette et des dépliants touristiques, jusqu’au méga-super-centre avec une panoplie de restos, de l’essence et toute la patente. Ça dépend des routes et des états. En ce qui nous concerne, ils sont toujours trop loin et la plupart du temps, fermés.
Donc on choisit d’arrêter au premier garage venu qui était, de façon surprenante, une station service toute seule avec petit dépanneur. Le genre sur le déclin avec toilettes sales et café imbuvable. Fréquentée surtout par des locaux qui viennent acheter leurs billets de loterie. Donc j’ai passé mon tour pour la toilette et j’ai décidé d’attendre dehors.
Sirotant mon eau de vaiselle appuyé sur l’autobus, je regardais les champs derrière et la patch de gazon devant moi jusqu’à ce que mon regard s’arrête sur un objet étrange. C’était en fait un os de quelque chose avec un moignon au bout. Je dis moignon mais c’était comme une masse avec soit des plumes, du poil, de la chaire séchée ou les trois. Assurément trop gros pour être un oiseau, à moins d’être un poulet de 300 livres, je me demandais à qui avait pu appartenir cet amas de calcaire.
Je reprend ma place côté passager et au moment de repartir, je le vois finalement. Celui de la légende, le mythe en personne, le cousin du Yéti, du monstre du lac Shaugnessy, du Sasquatch, du Siskwitch, du Bouctouche, de Squidly Diddly, du beau-frère de la Sagouine et j’en passe…Viande! m’écriais-je, c’est le chien à trois pattes!
J’ouvre la porte en vitesse et me précipite sur mon téléphone, je dois immortaliser la preuve.
Se déplaçant avec aisance entre les pompes à essence, gambadant allègrement comme un trépied à deux pattes, il s’éloigne à vive allure, il est doué, il est agile.
Je prends le cliché mais comme dans toutes les images de tous les monstres imaginaires qui sont toujours trop loin et flous dans la brume, il est trop loin et flou dans pas de brume. Constatez par vous même.
Et on reprend la route, secoués par cette apparition.
Cinq minutes plus tard, je mets à faire le lien entre l’os de la patch de gazon et le chien tripède. Se pourrait-il que cet os ait un jour appartenu à la légende, faisant partie de son corps de fauve et qu’il fut démembré sur la place publique par une bande de barbares locaux? C’est à glacer le sang. Encore un fois, la mort rôdait autour.
Mon amie coquerelle
Alors que mon hygiène personnelle nécéssitait un peu d’attention, j’entre dans le bloc sanitaire du camping du parc St-Andrews dans le but avoué d’enlever une couche de crasse. Le lieu est désert, nous avons l’habitude d’utiliser les installations quand les gens normaux sont couchés. Un mouvement au sol attire mon attention, c’est le déplacement élégant d’un gros coléoptère, au pattes multiples et grandes antennes, explorant gaiement le vaste plancher de ce bâtiment propre et bien entretenu. Oui, il y a des coquerelles en Floride.
Je m’approche pour mieux la voir et me permettre de confirmer son identité. Elle s’éloigne, juste un peu, curieuse. La saluant avec nonchalance, je me dirige vers les douches, ferme la porte ajourée au sol, retire mes vêtements, tire le rideau, tourne le robinet et savonne l’ensemble avec vigueur. Au bout d’un moment, me rouvrant les yeux après avoir nettoyé mon épaisse tignasse, qui est-ce que je vois venir me rendre visite sous la douche? Mon amie coquerelle.
En quête d’amitié, solitaire malgré elle, un peu de compagnie lui ferait du bien. On pourrait partager une croûte de pain ou un vieux bonbon liché, trouvé par terre, plein de sable. Mais je ne resens pas le besoin de m’engager dans une conversation futile avec une étrangère, jai toujours été poche en small talk, donc j’utilise la vieille technique de mononc Armand et je lui dit: Vas-t-en chez vous! Elle ne bronche pas et continue de s’approcher. Je dois hausser le ton et me diriger vers elle avec intention pour qu’elle tourne finalement de bord et décide de m’attendre à l’extérieur.
En sortant, elle était là, patiente. Mais comme le disent les braqueurs de banques, on ne doit pas mélanger les émotions et le voyage alors, je la salue définitivement et quitte les lieux, la laissant filer vers de nouvelles aventures.
On ne sait jamais qui Jésus mettra sur notre chemin quand l’on parcours ces contrées sauvages mais force est d’admettre que le hasard n’existe pas, que le destin nous guette (ou nugget chez Buc-ees) et que la synchronicité bouddhiste plane sur nous telle une coincidence impromptue tirée d’un récit biblique bon marché. Je pense avoir étiré cette phrase au maximum.
Au revoir.